21 janvier 2015

Liberté d'expression, jusqu'au cynisme ?

Je ne pense pas que brandir la liberté d'expression comme un dogme soit très raisonnable.
L'hebdomadaire Charlie Hebdo a le droit de publier ce qu'il veut. Mais est-ce bien utile ? Depuis plusieurs décennies, ce journal a autant ridiculisé le pape et les curés que le prophète et les imams. Dans quel but ? Informer ou faire rire ?
Je n'ai jamais acheté ce journal, mais je ne peux pas dire que ses « Unes » aperçues parfois à la devanture des kiosques ne m'aient pas fait rire. La caricature est une tradition historique de la presse indépendante. En déformant, en forçant le trait, le caricaturiste attire l'attention sur une information particulière et fait réagir. Il n'informe pas, il commente et prend parti. C'est sa liberté.
Le caricaturiste est le plus libre des journalistes. Il peut utiliser le sarcasme, la moquerie, l'excès, le ridicule... Parce son but n'est pas de transmettre une information, mais de nous faire sourire ou nous agacer, à partir d'une vision déformée de l'actualité. Pour le dessinateur de presse, les hommes politiques sont d'excellents sujets, des clients, comme on dit dans le métier. Les sportifs et les stars du showbiz beaucoup moins. Il est vrai qu'ils n'ont pas souvent besoin d'être caricaturés pour nous faire rire.
On pourrait donc s'amuser de tout... Mais doit-on tout dire ? Tout écrire ? Tout publier ? Tout montrer ? Devons-nous vraiment revendiquer la liberté de tout exprimer ?
Nous refusons la liberté d'expression à ceux qui font l'apologie du racisme, des crimes et massacres. Avec une sensibilité particulière à l'idéologie nazie, et une référence constante aux Droits de l'Homme. Il est également interdit de diffamer les personnes. Les vivants en tous cas. Pour les dieux et les prophètes, c'est sans doute différent...
La liberté d'expression connait ainsi quelques limites, qui ne s'appliquent pas qu'à la presse, même si celle-ci assume une responsabilité particulière. Mettons de côté les réseaux sociaux qui ne sont pas des organes de presse mais de gigantesques cafés du commerce où tout le monde peut parler de tout et exprimer un avis sur n'importe quoi. Sans se montrer, sans avoir à assumer ses propos.
Revenons au sport. Pouvait-on tolérer, au nom de la liberté d'expression, la présence dans un stade d'une banderole traitant les supporters de l'équipe adverse de pervers sexuels, comme cela s'est produit à l'occasion d'un match de football il y a quelques années ? Non, bien sûr. Pas plus que nous n'acceptons de voir une croix gammée utilisée pour faire passer un message de haine. Quant aux humoristes, ils bénéficient d'un statut particulier puisqu'on accepte chez eux des écarts de langage homophobes, racistes, sexistes. C'est parfois choquant, mais c'est pour la bonne cause : ils font rire le peuple...
Lorsque l'on est journaliste, la liberté d'expression est comme l'orthographe. Elle exige une attention constante. Doit-on publier une photographie qui met en cause un personnage public ? Doit-on relater des propos tenus en privé ? Doit-on dénoncer un agissement, certes interdit, mais dont la publication n'aurait pour seul effet que de discréditer son auteur ? La justice est-elle saisie ? Quel respect accordons-nous à la vie privée ?
La presse locale est plus attentive au respect des personnes que la presse nationale. Non que le journaliste local soit plus compétent que ses confrères parisiens, mais parce qu'il entretient une relation presque physique avec chacun de ses lecteurs. Ce journaliste tourne sept fois sa plume dans son encrier avant d'écrire une information qui ne fera pas plaisir à un élu, un président d'association ou même un simple citoyen. Il mesure parfaitement les conséquences d'une information diffusée dans la presse. « Si c'est écrit dans le journal, c'est que c'est vrai » entend-on encore aujourd'hui. Quelle responsabilité !
C'est parfois la peur qui retient le journaliste devant son clavier. Peur d'une réaction vive, peur de subir des menaces, y compris physiques, de perdre la confiance de certains interlocuteurs. Sans parler de la sanction financière, le chantage à la publicité utilisé sans honte par certains responsables politiques.
C'est aussi le respect des autres, ceux dont il pourrait dénoncer tant de turpitudes, ceux qui mènent une vie qu'il n'approuve pas, qui ne partagent pas ses idées. Le journaliste s'interroge. « Cette information est-elle utile ? Ne risque-t-elle pas d'avoir pour seule conséquence de détruire la réputation d'une personne ? Ne suis-je pas en train de me faire plaisir, en réglant des comptes personnels, parce que cette personne, un jour, a été désagréable avec moi ? ».
C'est enfin, pour le journaliste, le risque de perdre un informateur et de détruire une relation de confiance qui lui permet d'accéder à certaines informations.
Faut-il tout dire ? La question revient, lancinante.
Avec une forte dose de cynisme, on pourrait dès lors orienter la réflexion dans un autre sens. Et imposer l'obligation d'information comme une condition à la liberté d'expression. En d'autres termes : « tu peux tout exprimer, mais à condition de tout dire ».
Arrêtons-là le cynisme, qui est aussi dangereux que l'humour s'il n'est pas maîtrisé. L'homme est un être social complexe, riche de sa personnalité. Le vivre ensemble n'interdit pas la confrontation et les divergences. Il exige cependant le respect mutuel et la tolérance.
Revendiquons la liberté d'expression, mais pas pour n'importe quoi !

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