Mes menaces avaient été telles que mon entourage le plus proche n’organisa rien, et me laissa passer cette journée sans la moindre allusion à mon âge. Steak haché et petits pois carottes pour un déjeuner solitaire. De bougies, point.
Depuis, il y a eu quelques
transgressions à cet interdit, et je ne me suis pas fâché parce
que c'était à chaque fois un témoignage sincère d'amitié. Mais
la menace est toujours là, et ma septième dizaine débutera discrètement. Je
n'anniverserai pas à grand bruit. Enfin, je ne crois pas.
Qu'on se rassure, je réponds
volontiers aux invitations de ceux qui fêtent, ou de leurs proches
qui anniversairent-surprennent pour eux. Arrivée discrète, cinq
minutes à attendre dans le noir, ce n'est pas bien long... Et si le
héros du jour est content, c'est parfait. Mais pas
pour moi, merci !
Je n'aime pas les fêtes quand elles
sont programmées, organisées, obligatoires, ritualisées, et
surtout si je dois en être acteur. Des psys discerneraient sans
doute mon petit problème : une farouche volonté qu'on me foute la
paix sans demander d'explications à mon comportement.
Le mois de décembre est terrible, et
mes frayeurs commencent dès le mois de novembre, au moment où les
jours deviennent si courts et le brouillard si épais qu'on se
demande si on ne devrait pas déménager dans l'hémisphère sud la
moitié de l'année.
J'ai vraiment peur de la fin d'année, génératrice d'une frénésie consommatrice et gastronomique souvent
indécente. Huitres foie gras et saumon à volonté... Pour tout le
monde ?
Je ne suis pas le seul à appréhender
Noël et le jour de l'An. Il n'est alors question que de b..., heu,
pardon, de manger, de boire et d'offrir des cadeaux. Avec les
malentendus qui accompagnent ce rituel fort sympathique malgré
tout...
Là, je sens que vous ne me suivez
plus. « Pour de vrai, c'est quoi ton problème ? »
Le sapin, les tables décorées, c'est
agréable.
Des heures à table, des verres qui se
vident et se remplissent tout seuls, la dinde qui n'est pas cuite,
des enfants qui crient et mangent avec leurs doigts... c'est moins
drôle. La soirée s'éternise, pas moyen de s'éclipser et d'aller
dormir. A midi, on regarde par la fenêtre en se disant qu'on serait
si bien dehors. On se sent lourd, on reprend du café, une ou deux
papillotes, voire plus. Et on échange des propos sur les effets
nocifs du surpoids et de la nécessité de se remettre au régime.
On serait si bien dehors. Mais la nuit
tombe déjà.
Les enfants, eux, étaient sortis après
quelques minutes passées à table. Ils rentrent dans la maison en
laissant toutes les portes ouvertes. Les chaussures boueuses ou
pleines de neige, ils racontent aux parents admiratifs les prouesses
du cousin qui est descendu en luge tellement vite qu'il est monté
sur le tas de fumier du voisin (oui, çà existe encore !). Les
griffures au visage ? C'est la clôture en fil de fer barbelé.
Mais ce n'est pas grave, il n'a pas pleuré... Est-il vacciné contre
le tétanos ?
Maintenant le cousin pleure parce que
sa mère l'a grondé. Son anorak tout neuf a subi les mêmes outrages
que son visage. Mais personne ne l'entend hurler à cause de la télé
dont on a monté le son au moment de l'émission sur les animaux.
Comment se protègent-ils de l'hiver ? Maintenant, c'est une
émission très drôle. Des gens font des chutes monstrueuses, qui
nous font rire parce que la maladresse et le malheur des autres réjouissent toujours le spectateur. Les mêmes émissions tous les ans. Comme tous
les samedis aussi. Bientôt tous les jours, sur toutes les chaines.
Riez, moquez-vous, rien n'est sérieux.
Chez ma grand-mère, quand j'étais
petit, il y avait le déjeuner du jour de Noël. Mon papa s'endormait
sur un canapé genre causeuse, recouvert d'un tissu vieil or à motifs râpeux, au moment
où débutait la séance de diapositives. A la fin du repas, vers
cinq heures. Les retraités, mes grands-parents, nous faisaient ainsi partager
leurs dernières vacances. Ou d'autres vacances, il y a plus
longtemps. Moi, je m'esquivais dans la cuisine pour lécher le plat
de bûche aux marrons dont je n'avais pu obtenir qu'une seule
part... Et je préparais quelques blagues à ma grand-mère. Je ne
raconterai rien, çà pourrait donner des idées aux petits. Ma
grand-mère aimait bien mes blagues.
Il me reste aussi de bons souvenirs de
ces fêtes. Mais sans doute trop peu. Et c'était il y a longtemps.
Alors j'ai tourné la page. Je me méfie des discussions qui
s'enflamment après l'apéritif. Je sais aussi que nous n'avons pas
tous suivi les mêmes chemins, et qu'on ne recrée jamais une
ambiance lointaine. Nos mémoires n'ont pas sélectionné les mêmes
souvenirs.
Les fêtes me font peur, et les fêtes
m'ennuient. Ceux que j'y croise sont de ma famille, ou des amis. Je
suis content de les retrouver. La complicité nous réunit très vite. Mais nos vies nous ont apporté des richesses différentes, des richesses qui ne se partagent pas facilement.
Très bonne année 2015.
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