Errant

Les mains dans les poches, debout au carrefour.
Des cheveux blancs, encore nombreux, pas trop courts. Une veste bleue sans manches sur un pull-over à grosses mailles. Je l'imagine avec une cigarette, mais je ne me souviens pas l'avoir vu fumer. Peut-être n'a-t-il jamais fumé ?
Toute la journée, son regard sans passion surveille le mouvement des voitures, la traversée des piétons, et parfois l'arrivée d'une connaissance. Un petit bonjour, trois mots échangés, guère plus. Il attend. Toujours au même croisement de rues. Souvent au même angle. Debout,  très légèrement vouté, les bras ballants. Ou bien les mains dans les poches.
J'ignore ce qui le retient là. Quel événement pourrait donc changer ce rituel, cette présence à la fois discrète et imposante, seul au milieu de la foule ?
L'homme devait être vigoureux. Il parait sobre. Etait-il jardinier ? Mécanicien ? Chauffeur de bus ? Un type sans histoire, je crois, et qui n'en a jamais cherché. A-t-il une famille, des enfants, des neveux ? Ni souriant, ni triste, son visage ne révèle pas grand chose. Sa voix, que j'ai entendue un matin en passant près de lui, ne m'a rien évoqué. Assortie à l'homme. Ni chaude, ni froide, une voix de tous les jours.
Je l'ai vu longtemps installé à son carrefour. Parfois un peu plus loin, marchant avec un léger boitement. Accident du travail ? Certainement. Il n'a pas dû se plaindre. Etait-il bon camarade ? Je ne saurai jamais.
Je ne me souviens plus quand il a disparu. Reste-t-il chez lui désormais ? S'occupe-t-il de son épouse malade ? Est-il lui même souffrant ?
Chaque fois que je traverse le carrefour, je le cherche des yeux. En vain. Je continue aussi à chercher son âme, mais sans espoir. Elle a dû s'éteindre doucement.