06 novembre 2018

A cause des panneaux ?

- Pourquoi tu ralentis ? A cause des panneaux ?
Je ne réponds pas. La route est sèche, le ciel est dégagé et il fait encore jour. J'aperçois deux jeunes chevreuils dans la pâture qui sépare le bois de la route. Ils lèvent la tête et s'immobilisent quelques instants. Un souffle d'air, un bruit imperceptible ? Voilà la petite équipe qui s'enfuie et disparait sous les arbres.
- T'as peur de te faire flasher ici ? On n'a jamais vu un flic.

Les bas-côtés sont fauchés depuis quelques jours. L'herbe est épaisse. la végétation se gorge du soleil un peu lourd qui a succédé à la pluie interminable du  printemps. Il fait chaud. Je sens qu'il se produira un grand changement dans les prochains jours. La nature va retrouver sa fierté, se libérer. La moiteur disparaitra. Les fruits changeront de couleurs, les épis des céréales s'alourdiront et feront plier les tiges avant de troquer le vert tendre pour l'or mat. Le sol durcira et se craquellera. Les sous-bois vont encore s'assombrir mais conserveront la fraicheur..
- Pourquoi ont-ils limité la vitesse à 70 ici ? C'est idiot !
Ma vitre est légèrement baissée. Je sens l'odeur forte de la terre, des feuilles, de l'orge, des herbes folles et des fleurs qui osent enfin s'ouvrir. Je respire à fond. Plus loin, ce sera l'autoroute, les camions, la vitesse, le stress. Je profite un peu de ce moment paisible. Dans quelques minutes, je fermerai la vitre.
- Ce n'est pas très agréable, ces stèles au bord de la route...
Sur la croix qui émerge des bouquets de fleurs, on peut lire le prénom de la jeune fille qui est morte ici l'an dernier. Passagère d'une voiture qui roulait très vite. Je ne sais pas ce qui s'est passé. Je ne la connaissais pas. Je n'ai rien lu dans le journal, je n'ai pas assisté à son enterrement, je n'ai pas écrit de lettre compassée à ses parents et à ses amis. Je n'ai pas dit "plus jamais çà". Mais lorsque je roule sur cette route, je m'imprègne de l'air qu'elle ne respire plus, j'ouvre mes yeux et les oreilles comme elle aurait pu le faire. Je vis un peu sa vie.
- Tu es amoureux d'une morte ?
C'est pour elle que je roule doucement. Ma façon d'aimer...

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